Mardi, avant de quitter Great Falls, nous nous rendons au « Lewis
& Clark Interpretive Center » sur le bord de la rivière Missouri. S’il y a un centre d’interprétation à
visiter, c’est bien celui-là. Il relate
les 26 mois de l’Expédition avec beaucoup d’artefacts et la présentation de
deux films. Nous avons assisté au film
« Portage at Great Falls » et l’avons même acheté, tellement il est
bien fait.
En lisant le livre « Undounted Courage », je me
suis souvent demandée comment ils avaient fait pour mesurer les distances car
ils étaient très précis dans leur récit. J’ai finalement appris qu’ils
utilisaient une chaîne d’arpenteur de 33 pieds de long, appelée « Two
Pole ». 160 fois la chaîne de 33 pieds équivalait à un mille.
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La chaîne d'arpenteur de Lewis |
Et que dire du transport des canots et de tout le matériel
dans le portage de 18 milles le long des cinq chutes du Missouri! N’oublions pas qu’ils utilisaient des canots
creusés dans des troncs d’arbres et qu’ils avaient fabriqué des roues en bois
pour les monter à bout de bras. On peut comprendre pourquoi Lewis a tant voulu
acheter un canot côtier, fabriqué par les indiens chinooks sur les côtes du
Pacifique, pour son voyage de retour.
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Le canot des chinooks |
Nous ne pouvions pas quitter la ville de Great Falls sans aller
voir la plus grosse chute, plus à l’est, du côté nord de la rivière. En
regardant les murs de rochers de chaque côté de la rivière, nous imaginions ces
hommes suant et forçant pour accomplir la difficile tâche du portage des cinq
chutes qui dura deux semaines.
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Une des cinq chutes |
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Les Grandes Chutes |
Après un arrêt au Walmart pour faire des provisions pour les
trois prochaines journées, nous prenons la route pour nous rendre à Glacier
National Park, près de la frontière canadienne en Alberta. La cime des montagnes est encore enneigée et
les rangers nous confirment que la route Going-to-the-Sun qui traverse le parc
d’est en ouest est encore fermée à Logan Pass. Mercredi nous ferons donc le
détour de 162 milles par la route 2 qui contourne le parc. Nous nous installons
pour la nuit au St. Mary Campground, un très beau camping primitif au début du
parc. Glacier Park porte bien son nom,
les nuits sont froides. Nous dormons le toit du véhicule baissé et la
chaufferette à essence du véhicule nous tient au chaud. Même petit, Oscar nous
sert bien, autant pour préparer les repas que pour dormir et nous divertir. En
soirée, nous avons écouté la première émission de « Déjà dimanche ».
J’ai pitié pour les jeunes autour de
nous qui campent sous la tente, cuisinent et mangent dehors. Pas surprenant
qu’ils portent des manteaux d’hiver et des tuques.
Mercredi matin, nous reprenons la route Going-to-the-Sun
vers l’ouest, pendant 21 kilomètres, jusqu’à ce qu’une barrière nous indique
que la route est fermée à Jackson
Glacier Overlook. Mais ce court trajet valait la peine d’être fait, tellement
les paysages sont grandioses. Sur la route, nous rencontrons un groupe de
mennonites originaires de l’Indiana.
L’une d’elles est née à St. Jacobs en Ontario, là où une grande
communauté de mennonites vivent.
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Going-to-the-Sun Road |
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A Jackson Glacier Overlook |
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Les Mennonites à Glacier National Park |
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La photographe protographiée |
Puis, nous sortons du parc et le contournons par le sud. Sur
la carte routière, la route 49 semble plus courte mais assez sinueuse, alors
nous la prenons. Pour être sinueuse, elle l’est, et en plus, accrochée au flanc
des montagnes. Et j’ai eu peur, suppliant Serge d’aller moins vite et lui,
répétant qu’il n’allait pas vite. Vers 14h00, nous arrivons à l’entrée de West
Glacier avec l’intention d’aller nous installer au camping Fish Creek, puis de
reprendre la route Going-to-the Sun qui
longe le magnifique lac McDonald vers le nord-est, jusqu’à ce qu’une barrière
nous indique que la route est fermée. Vite nous déchantons car le ranger nous
apprend que la route est inondée quelques kilomètres plus loin et qu’en plus le
camping Fish Creek est encore fermé. Seulement le camping à Apgar Village est
ouvert. Nous nous y installons puis nous nous rendons à pied au village où
c’est bien tranquille. Les canots, les kayaks et vélos attendent bien sagement
les visiteurs qui devraient affluer en fin de semaine pour le long congé du
Memorial Day. De retour au camping, nous profitons du temps doux et du soleil à
ne rien faire, sauf regarder les petits chevreuils qui viennent brouter tout
autour, trouvant notre herbe bien savoureuse.
Nous écourterons notre séjour à Glacier National Park et repartirons
jeudi matin.
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Sur le bord du lac McDonald |
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Un visiteur au camping |
A la recherche des
Shoshones 15 juillet au 12 août 1805
Les capitaines avaient hâte de rencontrer les Shoshones. Les
moustiques étaient une vraie plaie et les petits cactus-poires toujours aussi
douloureux pour les pieds, mais les deux dernières semaines de juillet
procurèrent à Lewis beaucoup de joie. Il était émerveillé par tout ce qu’il
voyait, les nouveaux oiseaux et animaux ainsi que les montagnes et les vallées
de l’ouest. La plupart du temps, il
marchait le long de la rive avec deux soldats, en partie pour alléger les
canots mais surtout parce qu’il aimait marcher dans ce nouveau pays. Il trouvait même moyen de dire quelques
choses de bien au sujet des cactus-poires qui étaient maintenant en pleine
floraison et d’une grande beauté.
En vue de leurs rencontres avec les Shoshones, les
capitaines décidèrent que l’un deux partirait à pied avec un groupe d’hommes à
leur recherche, afin d’être en avance sur les canots. Ils craignaient que le
bruit des fusils des chasseurs apeure les indiens qui croiraient qu’il s’agit
de leurs ennemis les Blackfeet. Le matin du 19 juillet, Clark partit à pied
tandis que Lewis conduisit les canots sur la rivière. Les canots avançaient difficilement
en utilisant les cordes pour les tirer, les bâtons ou les rames. De plus, il
faisait une chaleur suffocante entre les falaises d’une hauteur de 1200 pieds
de chaque côté de la rivière.
Un matin, comme la flottille ramait pour sortir d’un canyon,
une colonne de fumée apparut dans le ciel, suffisamment grosse pour avoir été
allumée délibérément. Sûrement qu’un
indien Shoshone avait entendu un coup de feu des chasseurs et avait mis le feu
à l’herbe pour avertir les autres membres de sa tribu. Le lendemain, la flottille entra dans une
magnifique et immense plaine de 10 à 12 milles de large, bordée de chaque côté
par de hautes montagnes. Ils étaient
près de Last Chance Gulch, aujourd’hui à Helena au Montana.
Le 22 juillet, comme les montagnes commencèrent à se
rapprocher, Sacagawea reconnut cette section de la rivière. Elle était venue là
quand elle était enfant; c’était l’endroit où les Shoshones vivaient durant
l’été. En fin d’après-midi, la flottille
rejoignit Clark qui avait établi son camp à la droite de la rivière. Il n’avait
trouvé aucun indien mais il avait vu des signes qu’ils étaient présents. Pour
leur signifier qu’ils n’étaient pas des ennemis, il avait laissé des présents
sur place. Le plus inquiétant était la
condition physique de Clark. Ses pieds étaient à la chair vive, déchirés par
les cactus-poires. Après avoir pris une journée de repos, Clark insista pour
repartir à pied avec quatre hommes pour une autre journée à chercher les
Shoshones. Sacagawea avait enseigné quelques mots Shoshone à Clark, dont
« tab-ba-bone » qui voulait dire approximativement « homme
blanc ». En vérité, les Shoshones
n’avaient aucun mot pour « homme blanc », n’en ayant jamais rencontré.
Ce mot pouvait dire « étranger ». Pourquoi ni Clark ni Lewis ne demandèrent-ils
pas à Sacagawea de les accompagner dans leurs recherches ? Ils croyaient
probablement qu’ils avaient besoin d’elle seulement en qualité d’interprète
pour négocier l’achat de chevaux et non pour établir le contact. Si c’est le
cas, ils ont fait preuve de chauvinisme au lieu d’utiliser leur bon sens.
Clark repartit le matin suivant, toujours à la recherche des
indiens. Les conditions sur la rivière étaient difficiles et les hommes se
plaignaient d’être très fatigués et de leur labeur extrême. Le 27 juillet, alors que les hommes avançaient
lentement, en raison du courant rapide, malgré leurs efforts extrêmes, ils
commencèrent à ralentir ayant atteint leurs limites physiques. Heureusement, la bonne fortune leur souriait.
Juste dans un tournant de la rivière, ils arrivèrent à la jonction d’une
rivière, puis un quart de mille plus loin, à la jonction de deux autres
rivières. C’était les « Three Forks « du Missouri. La flottille mit pied à terre et pendant que
les hommes se reposaient, Lewis grimpa sur une haute falaise du haut de
laquelle il avait une vue spectaculaire sur toute la région. Encore aujourd’hui, si on se tient au même
endroit, on a une vue superbe malgré l’intrusion des autoroutes 90 et 287 et on
voit la petite ville de Three Forks quelques milles plus loin.
Après déjeuner, la flottille continua en amont jusqu’à la
jonction de la fourche du milieu et celle du sud-ouest. Lewis trouva une note de Clark fixé à un
arbre lui disant de suivre la fourche allant vers le sud-ouest et qu’il le
rejoindrait à cette jonction s’il ne trouvait pas les indiens. Clark revint au
camp vers 3 :00 p.m. Il était
extrêmement malade et complètement épuisé.
Il avait été malade toute la nuit avec une forte fièvre, des frissons et
des douleurs musculaires constantes. Les
capitaines commençaient à désespérer de trouver les Shoshones car sans les
chevaux des indiens et leurs informations, l’expédition devrait rebrousser
chemin et retourner à St. Louis.
L’expédition passa deux jours à Three Forks, les hommes fabriquant des
vêtements et chassant, pendant que Lewis procédait à des observations
astronomiques et que Clark récupérait.
Sacagawea informa les capitaines que le camp était à l’endroit précis où
les Shoshones avaient campé cinq ans plus tôt et avaient été attaqués par les
Hidatsas.
Au cours de la semaine suivante, ce fut au tour de Lewis et
ses hommes de marcher devant les canots.
Ils arrivèrent à la jonction des rivières Wisdom et Jefferson. Laquelle
prendre ? Lewis choisit la Jefferson. Il laissa une note à Clark lui disant de
prendre la Jefferson avec les canots s’il arrivait à la jonction avant le
retour de Lewis parti pour deux jours.
Deux jours plus tard,
le 6 août, Lewis revint au point de rencontre sans nouvelles des Shoshones. Il
entendit le bruit de canots venant de la gauche. Il trouva Clark et les canots sur la rivière
Wisdom. Ils étaient dans un état pitoyable. Un canot avait renversé et tous les
bagages étaient mouillés, incluant la boîte de médicaments. Deux autres canots
étaient remplis d’eau. Pourquoi Clark
était-il allé sur la Wisdom ? N’avait-il pas vu la note de Lewis? Et bien,
non. Il est possible qu’un castor
passant par-là ait coupé l’arbre, emportant la note avec lui. La journée fut
consacrée à examiner, sécher et réarranger les provisions.
Une autre inquiétude, Clark avait envoyé le soldat Shannon à
la chasse et il n’était toujours pas de retour. Le 7 août, les capitaines
décidèrent de laisser un canot dans une cache étant donné la diminution des
provisions. L’équipage était devenu un hôpital mobile. Clark avait développé
une tumeur sur sa cheville qui était enflée et douloureuse, Gass, Charbonneau
et cinq autres hommes souffraient de différentes indispositions. Mais cet après-midi-là, Sacagawea leur
redonna de l’espoir. Elle reconnut une
haute plaine qui n’était pas très loin de la retraite d’été de sa nation sur
une rivière au-delà des montagnes à l’ouest. Les Shoshones appelaient cet
endroit « Beaver’s Head » à cause de sa forme. Elle les assura qu’ils
trouveraient son peuple sur la rivière ou tout près.
Lewis partit à pied avec quelques hommes pour localiser les
indiens. Le matin du 9 août, Shannon
revint au camp de Lewis avec trois peaux de cerfs et une bonne histoire à
raconter. Pendant deux jours, Lewis et ses hommes suivirent un vieux chemin
indien qui ne les mena nulle part. Lewis
réunit ses hommes et leur expliqua son plan. Drouillard partirait vers la
droite, Shields vers la gauche et McNeal resterait avec lui. Si Drouillard ou
Shields trouvait le chemin des indiens, il placerait son chapeau au bout de son
fusil et le tiendrait en l’air. Ils
marchèrent pendant cinq milles. Aucun signe des indiens. Soudain Lewis plissa des
yeux, regarda encore, sortit sa longue vue et vit, sans l’ombre d’un doute, un
indien sur un cheval noir à deux milles de distance, venant vers eux. Son
costume était celui des Shoshones. Lewis avança à son pas habituel. L’indien
continua à avancer mais quand ils étaient à un mille de distance, il s’arrêta. Lewis fit de même et Lewis sortit une
couverture de son sac à dos et l’étendit sur le sol, en signe d’amitié.
L’indien restait sur sa position en jetant un coup d’œil à droite et à gauche.
Lewis comprit qu’il regardait Drouillard et Shields avec suspicion. Bien sûr
qu’il était soupçonneux; l’indien était probablement un adolescent envoyé comme
éclaireur, curieux au sujet de ces étrangers mais prudent. Lewis sortit les
maigres produits d’échanges qu’il avait apportés avec lui, laissa son fusil à
McNeal et avança vers l’indien. Le jeune
garçon descendit de son cheval, et demeura aux aguets jusqu’à ce que Lewis soit
à 200 verges de lui. A ce moment, l’indien remonta à cheval et commença à
s’éloigner lentement. Désespéré, Lewis cria « tab-ba-bone » à
plusieurs reprises. Au lieu de répondre à Lewis, l’indien continuait à
surveiller Drouillard et Shields qui avançaient. Lewis était furieux contre eux
et leur fit signe de s’arrêter. Drouillard le vit et s’arrêta mais Shields ne
le vit pas et continua à avancer. A 150 verges, Lewis répéta « tab-ba-bone »,
et porta au bout de ses bras les cadeaux pour l’échange. A 100 verges de
distance, le jeune indien tourna son cheval et partit au gallot. Lewis était
mortifié et désappointé et blâmait Shields pour cet échec.
Le matin du 12 août, en suivant un large ruisseau, ils
grimpèrent vers un col qui les mena au sommet d’une haute montagne. Ils étaient les premiers Américains à
apercevoir le grand empire de l’Idaho et découvrirent ses immenses chaînes de
montagnes aux toits enneigés. C’était la chaîne des Bitterroots des Montagnes
Rocheuses. Lewis était loin dans le
territoire indien avec seulement trois hommes et à quatre à cinq jours de
marche du reste de l’Expédition. Un jeune indien était retourné dans sa tribu
rapporté que des étrangers étaient dans la région. Lewis avait vécu
suffisamment d’expérience en une seule journée. Maintenant, il avait besoin
d’une bonne nuit de sommeil et beaucoup de chance pour le lendemain matin.
Au-delà de la ligne
continentale, 13 au 31 août 1805
Au matin du 13 août, Lewis partit très tôt vers l’ouest, sur
un sentier récemment utilisé par les indiens qui descendait dans une
vallée. Neuf milles plus loin, Lewis vit
deux femmes indiennes, un homme et quelques chiens. Quand ils furent à un mille
d’eux, Lewis ordonna à Drouillard et aux deux soldats de s’arrêter, d’enlever
leurs sacs à dos et leurs fusils et de les déposer sur le sol. Il déroula un
drapeau et avança seul vers les indiens.
Les femmes se sauvèrent mais l’homme resta sur place jusqu’à ce que
Lewis soit à une centaine de verges de distance. Lewis cria « tab-ba-bone » à
plusieurs reprises... L’homme prit la fuite.
Lewis continua à marcher avec ses hommes et à moins d’un
mille de là, ils rencontrèrent trois femmes indiennes. Au premier abord, Lewis déposa son fusil et
avança vers le groupe. L’adolescente s’enfuit en courant mais la vieille femme
et l’enfant restèrent. Ne voyant aucune chance de s’échapper, elles s’assirent
sur le sol et gardèrent leurs têtes baissées, résignées à mourir. Lewis s’approcha et prit la vieille femme par
la main, l’aida à se relever et dit « tab-ba-bone ». Il lui montra sa
peau blanche sous la manche de sa chemise. Drouillard et les soldats se
joignirent à eux et sortirent des cadeaux de leurs sacs. La couleur de sa peau,
les cadeaux et son attitude amicale suffirent à les calmer. Lewis leur dit, à travers le langage des
signes de Drouillard, qu’il voulait qu’elles les conduisent à leur camp car ils
désiraient faire la connaissance des chefs et guerriers de leur tribu. Elles firent comme Lewis leur avait demandé et
ils partirent en suivant les indiennes.
Au bout de deux milles, la rencontre tant anticipée eut
lieu. 60 guerriers, montés sur d’excellents chevaux et armés pour la guerre
arrivèrent à toute vitesse. Quand ils virent Lewis et son petit groupe, ils
s’arrêtèrent. Lewis posa son fusil à terre, attrapa son drapeau et suivit la
vieille femme. Un homme que Lewis supposa être le chef, chevaucha jusqu’à la
vieille femme. Elle leur dit qu’ils étaient des hommes blancs et lui montra les
cadeaux qu’elle avait reçus. Ceci détendit l’atmosphère et le chef et les
guerriers descendirent de leurs chevaux.
Le chef s’avança et dit « ah-hi-e, ah-hi-e », ce qui voulait
dire « je suis heureux ». Il mit sons bras gauche sur l’épaule droite
de Lewis et appliqua sa joue gauche sur la joue droite de Lewis, tout en
continuant à vociférer « ah-hi-e ». Les guerriers et les hommes de
Lewis vinrent ensuite et ces derniers furent cajolés et barbouillés de graisse
et de peinture jusqu’à ce qu’ils soient fatigués des démonstrations d’affection
de la tribu.
La première rencontre entre Shoshones et Américains s’était
passée mieux que Lewis avait pu espérer.
Les Shoshones s’attendaient à trouver les Blackfeet et auraient sûrement
attaqué sans attendre si ça n’avait été de la vieille femme. Lewis sortit sa pipe et s’assied, indiquant
aux indiens de faire de même. Il l’alluma et la passa au chef, ensuite il distribua des présents.
Lewis apprit que le chef se nommait Cameahwait. Il lui dit que le but de sa
visite était amical et que lorsqu’ils atteindraient le camp de sa tribu, il lui
expliquerait son expédition plus en détails.
Cameahwait parla à ses guerriers et tous partirent pour le camp. Des
jeunes guerriers furent envoyés à l’avance pour informer les autres de préparer
leur arrivée. Quand ils atteignirent le camp, sur la rive est de la rivière Lemhi,
(environ sept milles au nord de la ville Tendoy en Idaho aujourd’hui), Lewis
fut conduit vers un vieux tepee (le seul qui restait à la bande depuis
l’attaque des Blackfeet) et s’assit cérémonieusement sur des rameaux verts et
des peaux d’antilopes. Il leur expliqua le but de son voyage. Femmes et enfants
les entourèrent, désireux de voir ces « Enfants du Grand Esprit ».
Il faisait noir maintenant et Lewis et ses hommes n’avaient
pas mangé depuis 24 heures. Lewis le
mentionna à Cameahwait qui lui dit que malheureusement la tribu n’avait rien
d’autres que des baies à manger. Il
donna aux hommes blancs quelques gâteaux de petits fruits et de cerises que
Lewis qualifia de repas copieux.
Lewis se promena le long de la rivière Lemhi. Cameahwait lui expliqua qu’à une demi-journée
de marche vers le nord, la rivière en rejoignait une autre, deux fois plus
large, venant du sud-ouest (aujourd’hui connu comme Salmon River). Il lui dit
aussi que le long de cette rivière, il y avait peu d’arbres, qu’elle était
confinée entre d’inaccessibles montagnes et qu’il avait été informé qu’il était
impossible de se rendre par eau au grand lac où les hommes blancs vivaient
(l’océan Pacifique). Cela confirmait ce
que Lewis craignait quand il vit pour la première fois les chaînes Bitterroots
du haut du col Lemhi, il n’y avait pas de route entièrement navigable qui
traversait le continent. De retour au tepee, un guerrier lui remonta le moral
en lui apportant un morceau de saumon fraîchement rôti qu’il savoura. C’était
le premier saumon qu’il voyait et cela le convainquit qu’il était bien dans les
eaux du Pacifique.
Lewis devait maintenant laisser le temps à Clark d’atteindre
la rivière Jefferson jusqu’à la limite navigable. Clark progressait seulement de quatre à cinq
milles par jour dans cette rivière peu profonde qui n’était pas plus large
qu’un ruisseau. Il envoya Drouillard et
les soldats à la chasse. Les indiens leur fournirent des chevaux et quelque
vingt jeunes braves les accompagnèrent. Lewis assista avec amusement à une
chasse à l’antilope par de jeunes indiens à dos de cheval qui dura deux heures.
A leur retour, les chasseurs n’avaient pas tué une seule antilope.
Alors, comment allaient-ils traverser les montagnes ? C’est par le nord, lui répondit le chef, mais
le chemin est vraiment mauvais. Les Nez-Percés, qui traversaient les montagnes
chaque année pour aller chasser les bisons à la rivière Missouri, lui avaient
dit qu’ils avaient souffert de la faim étant obligés de se nourrir uniquement
de petits fruits pendant plusieurs jours. Il n’y avait pas d’animaux dans cette
partie des montagnes couvertes d’épaisses forêts et où ils pouvaient à peine
passer. Loin de se décourager, Lewis se dit que si des indiens pouvaient
traverser ces montagnes avec leurs femmes et enfants, les hommes de l’expédition
pouvaient le faire.
Pour convaincre Cameahwait de l’aider avec le portage
au-dessus de la ligne continentale et négocier l’achat de chevaux qui
pourraient amener l’expédition au-dessus des Bitterroots sur le chemin des
Nez-Percés, Lewis lui dit qu’il avait déjà obtenu des Hidatsas la promesse
qu’ils n’attaqueraient plus les Shoshones et qu’à leur retour aux États-Unis,
les hommes blancs viendraient avec des fusils en abondance et autres articles
nécessaires pour leur défense et leur confort.
Cette promesse avait un futur incertain, mais il la fit quand même.
Lewis dit à Cameahwait qu’il voulait que sa tribu traverse
le col Lemhi avec lui le lendemain matin, apportant trente chevaux, pour
rencontrer Clark et ses hommes à la fourche de la rivière Jefferson et les aider
à rapporter le bagage au-dessus du col jusqu’au camp indien où ils resteraient
quelques jours pour négocier l’achat des chevaux. Cameahwait accepta.
Le matin du 15 août, Lewis se réveilla avec une faim de
loup. La veille, il n’avait mangé qu’un maigre repas de farine et de baies. Il
lui restait deux livres de farine. Il demanda à McNeal de diviser la farine en
deux parties et de cuisiner la moitié avec des baies. Les quatre hommes déjeunèrent
avec appétit et en donnèrent une bonne partie au chef qui déclara que c’était
la meilleure chose qu’il ait goûtée depuis longtemps.
Après le déjeuner, il y eut une crise. Les guerriers ne voulaient pas bouger malgré
les exhortations de leur chef. Ils ne faisaient toujours pas confiance aux
hommes blancs, craignant une embuscade d’une tribu ennemie. Cameahwait monta sur son cheval et dit qu’il
espérait qu’au moins quelques guerriers se joindraient à lui pour accompagner
les hommes blancs; six guerriers montèrent sur leurs chevaux. Quelques temps
après, six autres guerriers et trois femmes se joignirent à eux.
Ils traversèrent le col Lemhi et descendirent à la crique
Shoshone où ils campèrent et prirent leur deuxième repas de la journée,
utilisant le reste de la farine mélangée avec un peu d’eau bouillante. Les
Shoshones, sauf le chef et un guerrier, n’eurent rien à manger ce jour-là.
Le matin suivant, le 16 août, Lewis envoya Drouillard et
Shields à la chasse. Quand un éclaireur revint, à bout de souffle, il avait une
bonne nouvelle. Drouillard avait tué un cerf. En un instant tous les indiens
partirent au galop, ayant peur de manquer une partie du festin. En arrivant sur
le lieu, Lewis eut pitié de ces pauvres indiens affamés qui mangeaient
voracement les parties crues que Drouillard rejetait, gardant uniquement la
viande. Lewis garda un quart de la viande pour lui et ses hommes et donna le reste
au chef pour le partager avec son peuple. Ceux-ci ne prirent même pas le temps
de partir un feu pour cuire la viande et la dévorèrent telle quelle.
Quand Lewis arriva à la fourche des rivières, il découvrit
avec mortification que Clark n’était pas encore arrivé. Comment allait-il
convaincre les indiens d’attendre son arrivée ? Désespéré, il donna son fusil à
Cameahwait et lui dit que si les Blackfeet étaient autour, il pourrait
l’utiliser pour se défendre. Les
guerriers n’étaient pas satisfaits et voulaient repartir trouvant la situation
trop dangereuse. Pour retenir les Shoshones, Lewis leur dit que Sacagawea était
avec Clark et qu’il y avait aussi un homme noir avec des cheveux courts frisés.
Les indiens se montrèrent intéressés de voir une telle curiosité.
Le lendemain matin, un indien rapporta que les hommes blancs
arrivaient. Les Shoshones étaient transportés de joie autant que Lewis. Quand Clark arriva avec Sacagawea et
Charbonneau, Cameahwait lui donna l’accolade nationale et décora ses cheveux de
coquillages. Au milieu de l’excitation générale, une des femmes Shoshones
reconnut Sacagawea. Son nom, Jumping Fish, lui avait été donné le jour où
Sacagawea avait été faite prisonnière, parce qu’elle avait sauté à l’eau pour
échapper aux Hidatsas. Les deux
adolescentes s’embrassèrent, pleurèrent et parlèrent en même temps. Quand elles
furent calmées, ils se rendirent tous au camp pour tenir une conférence. A
peine avaient-ils commencé à parler que Sacagawea se mit à dévisager
Cameahwait. Soudainement, elle reconnut
son frère. Elle courut vers lui, l’embrassa et jeta sa couverture par-dessus
lui en pleurant abondamment. Quel coup de chance c’était ! Aucun romancier n’aurait osé inventer une
telle scène.
Quand Sacagawea se remit de ses émotions, le conseil
commença. Les capitaines expliquèrent plus en détails ce qui les amenait dans
cette partie du pays et qu’ils ne pourraient pas l’accomplir sans l’aide des
Shoshones pour les guider jusqu’au sentier des Nez-Percés et sans l’aide de
leurs chevaux. Cameahwait répondit qu’il
était prêt à les aider mais qu’il n’avait pas suffisamment de chevaux pour
transporter les bagages au-dessus du col Lemhi. Il devait retourner au village et
encourager sa tribu à venir les aider. Les capitaines étaient satisfaits et, en
vérité, ils n’avaient pas espéré autant de coopération.
Bien que Clark estimait que Cameahwait était un homme
sincère et plein de bon sens, il voulait voir par lui-même la route par la
rivière Salmon, avant d’accepter la description alarmante de Cameahwait. Il fut entendu que le matin suivant Clark
partirait avec onze hommes transportant des haches et les autres outils
nécessaires pour construire des canots. Si Clark trouvait la rivière navigable,
il construirait les canots. Pendant ce temps, Lewis conduirait les 18 membres de
l’équipe et les bagages jusqu’à la rivière Lemhi. Il pensait que cela leur
prendrait une semaine au plus, donnant suffisamment de temps à Clark pour faire
sa reconnaissance et déterminer si l’expédition procéderait par terre ou par
eau.
Lewis passa six jours au Camp Fortunate. Le 22 août,
Cameahwait, Charbonneau, Sacagawea et 50 Shoshones accompagnés de femmes et d’enfants arrivèrent
au camp. Cameahwait demanda qu’ils restent tous encore une journée pour qu’ainsi une bande
d’indiens amis puissent se joindre à eux.
Les Shoshones se réunissaient pour leur excursion annuelle dans les
plaines des bisons.
Au matin du 24 août, Lewis était à nouveau en route, cette
fois-ci avec 18 de ses hommes, Charbonneau, Sacagawea et Drouillard, neuf
chevaux et mules et la bande de Cameahwait. Il donna à Charbonneau quelques
articles pour négocier un cheval pour Sacagawea. Il était heureux parce qu’il
avait la satisfaction de se retrouver une fois encore avec toute son équipe et
ses bagages.
La joie de Lewis ne dura pas longtemps. Le 25 août, quand
les chasseurs revinrent de la chasse, Charbonneau lui mentionna que Sacagawea
avait entendu Cameahwait dire à quelques jeunes indiens d’informer la bande de
le rejoindre le jour suivant, pour qu’ainsi la bande puisse partir pour la
rivière Missouri. Si cela arrivait,
Lewis et ses hommes seraient laissés seuls, à mi-chemin du col Lemhi, avec
seulement une douzaine de chevaux et sans guides pour se rendre au sentier des
Nez-Percés.
Alors, Lewis appela Cameahwait et deux petits chefs pour
fumer et parler. Il leur rappela qu’ils avaient promis de l’assister avec les
bagages jusqu’à leur camp, ce qu’ils acquiescèrent. Alors, pourquoi se
préparaient-ils à l’abandonner pour se rendre au pays des bisons ? Les indiens
hochèrent la tête. Cameahwait resta silencieux quelque temps. A la fin, il lui
dit qu’il avait eu tort mais qu’il avait été amené à prendre cette mesure à la
vue de son peuple si affamé, mais comme il avait promis d’accorder son
assistance, il respecterait sa parole. Son peuple mourait de faim. Le pays des bisons
était à peine à un jour de marche. Les autres bandes Shoshones rencontraient
déjà les villages des Flatheads pour aller à la chasse.
Lewis réalisa que les Shoshones avaient besoin de manger.
Dans l’après-midi, le groupe marcha presque jusqu’au col. Les chasseurs
rapportèrent un seul cerf. Lewis ordonna de distribuer la viande aux femmes et
aux enfants et resta lui-même sans souper.
A l’aube du 26 août, la température était au point de
congélation. Durant la marche, au cours de la journée, Lewis vit les femmes
indiennes cueillir des racines et nourrir leurs enfants affamés. C’était
bouleversant d’assister à cette misère.
En soirée, Lewis, ses hommes et tous leurs bagages arrivèrent au camp de
Lemhi River. Le soldat Colter était déjà là avec une lettre de Clark dans
laquelle il décrivait la rivière Salmon comme impassable. Lewis n’était pas surpris. Le lendemain
matin, il dit à Cameahwait qu’il voulait acheter 20 autres chevaux. Le chef lui fit remarquer que son peuple
avait perdu un grand nombre de chevaux lors de l’attaque des Blackfeet, mais
qu’il verrait ce qu’il pouvait faire. Il lui dit aussi que le vieil homme qui
avait traversé une fois les montagnes avec les Nez-Percés accepterait de leur
servir de guide.
Les indiens étaient prêts à vendre mais le prix avait
augmenté considérablement. Le 29 août,
Clark dut offrir son pistolet, son couteau et une centaine de balles pour un
cheval. Finalement, les capitaines achetèrent 29 chevaux mais, les Shoshones se
montrèrent de meilleurs commerçants que les Américains. Quand Clark examina les
chevaux dans le coral, il découvrit qu’ils souffraient presque tous de maux de
dos et plusieurs étaient maigres et jeunes. Les capitaines avaient acheté les
pires chevaux du troupeau Shoshone.
Les Shoshones décrits
selon Lewis
Si les Shoshones étaient fascinés par les hommes blancs et
leur équipement, Lewis n’était pas moins fasciné par eux. Le plus grand changement
que l’homme blanc ait apporté à la vie des Shoshones fut l’introduction du
cheval, apporté dans le Nouveau Monde par les Espagnols. En deuxième lieu, ce
fut les fusils fournis par les Anglais et les français à leurs partenaires de
commerce des plaines, les Blackfeet, les Hidatsas et autres. Comme l’a exprimé
de façon si émouvante Cameahwait, le commerce des armes avec les ennemis des
Shoshones mit son peuple dans une situation terriblement désavantageuse et
réglait leur vie. Ils devaient obtenir leur nourriture au péril de leur vie et
se retrancher rapidement dans les montagnes.
Physiquement, les Shoshones étaient petits et leur peau
était plus foncée que celle des Hidatsas ou les Mandans. Pour ce qui est de
leur comportement, malgré leur extrême pauvreté, ils étaient gais, francs,
communicatifs, généreux avec le peu qu’ils possédaient et honnêtes.
Pour ce qui est des relations entre les sexes, l’homme était
le seul propriétaire de ses femmes et ses filles. Il pouvait échanger ou
disposer de l’une d’elles comme il voulait. La plupart des hommes avaient deux
ou trois femmes, habituellement achetées quand elles étaient enfants pour des
chevaux ou des mules. A l’âge de 13 ou 14 ans, les filles étaient remises à
leur propriétaire et mari.
Sacagawea avait été vendue avant d’être faite prisonnière et
son fiancé était encore vivant et membre de la tribu. Il était dans la
trentaine et avaient deux autres femmes. Il réclama Sacagawea comme sa femme,
mais comme elle avait eu un enfant d’un autre homme, il ne la voulait plus.
Lewis nota, avec désapprobation, que les Shoshones traitaient leurs femmes avec
peu de respect et les contraignaient à exécuter un grand nombre de corvées,
souvent très exigeantes physiquement.
Leurs costumes de cérémonie étaient des plus élégants que
Lewis ait jamais vus. Leur matériel pour
préparer la nourriture était primitif.
Ils n’avaient pas de haches pour couper le bois; ils utilisaient des pierres
ou des cornes de cerfs. Leurs ustensiles consistaient en des jarres de terre et
des cornes de bisons comme cuillères.
Ce que les Shoshones appréciaient avant tout et dont ils dépendaient
absolument était la bravoure de leurs jeunes hommes. L’éducation des enfants
était conçue pour produire de braves guerriers. Ils corrigeaient rarement leurs
enfants, particulièrement les garçons qui devenaient tôt responsables de leurs
propres actes.
En politique, ils ne suivaient pas les aînés mais les hommes
les plus braves. Comme la bravoure était la plus grande vertu, aucun homme ne
pouvait devenir important parmi les Shoshones s’il n’avait pas à un moment de
sa vie fait preuve de bravoure.